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«Le monstre des abysses» Vidéo sur moniteur 15 secondes, texte impression jet d'encre 2014.

Le monstre des abysses.

Il y a toujours trop de monde au bord des lacs l’été. Les endroits les plus prisés ce sont les spots aux rochers comme on les appelle, c’est là où on peut plonger, explorer, établir des records personnels et frimer. Un jour d’août, avec plusieurs amis nous étions venus nous baigner au Gour de Tazenat, il y avait un monde fou. À peine arrivé, le réflexe habituel est de toucher l’eau pour tester la température. On s’est aperçu qu'au bord, entre les rochers, un poisson, ou plutôt une perche venait nous attaquer le bout des doigts lorsque nous nous approchions trop près d’une petite faille. On supposait qu’elle avait frayé dans le coin et qu’elle protégeait sa progéniture.

Nous préférons nager là où il y a moins de monde. Je ne m’étais éloigné du bord que de quelques mètres, juste assez pour dépasser la barrière de rocher là où nous n'avons plus pied. J’avais mis un ballon de football américain sous mes genoux, j’étendais mes bras et mon corps de manière à flotter comme une feuille morte sur la surface de l’eau. Soudain je sens quelque chose qui d’abord me frôle le haut des cuisses puis me touche le milieu du dos. Je me retourne brusquement en supposant que Corentin me fait une blague, le réel me rattrape et je vois à moins d’un mètre, sous moi, un énorme poisson grisâtre. Surpris, je me mets à nager à toute vitesse vers le bord pour alerter les autres. Armé de courage, poussé par l’ère du numérique et de la technologie, avides de preuves on se jette tous à l’eau munis d’un téléphone portable étanche (Samsung Solid) afin de filmer le soi-disant monstre.

On m’a créé pour une reconstitution d’une partie de film du commandant Cousteau. Je me faisais attaquer par des requins attirés par l’odeur de mon sang qui s’écoulait dans l’océan. Je venais d’être heurté par l’hélice du navire. Je suis né mort en quelque sorte. On m’a donné la possibilité de vivre uniquement lorsque je suis sorti du contexte pour lequel j’avais été créé.
Cinq mois environ après avoir servi pour mon véritable but, je me suis retrouvé dans le coffre d’une voiture avec tout un attirail bas de gamme de plongée ainsi que des affaires de plage. Jusqu’ici personne ne se souciait de mon existence en fait je n’étais qu’un vulgaire objet, un monstre créé par Alexandre. Mais un jour d’août 2013, mon existence allait non seulement prendre un tournant considérable, mais j’allais réellement vivre.
Il faisait, je suppose, une chaleur épouvantable dans ce coffre, après un trajet d’une quarantaine de minutes, la voiture s’est arrêtée sur un chemin de terre. Alexandre ouvra le coffre afin de m'extirper. Je pèse relativement lourd ce qui ne rend pas la marche facile dans le sentier escarpé sur lequel Alexandre vient de s’engager. Au bout de plusieurs minutes, on me pose à l’abri des regards entre les cailloux et les hautes herbes, je surplombe une étendue d’eau. On me laisse gisant, là, seul pendant un très long moment où rien ne se passe, comme si on m’avait abandonné comme une vulgaire canette de bière jetée dans les broussailles. Puis tout d’un coup PLOUF, Je me retrouve sous plusieurs mètres d’eau poussé dans les profondeurs, je remonte, je me débat, je coule, puis je remonte, je vais de plus en plus profondément. Alexandre tentait-il de me noyer ?
Non, il m’accompagne dans les profondeurs, il nage avec moi puis d’autres personnes se mettent à l'imiter. Je les pousse avec le haut de mon crâne, ce qui au début ressemblait à des violences se transforme en jeux. J’étais heureux, j’allais et venais dans les eaux relativement claires, je m’enfonçais de plus en plus dans les abysses du lac qui allaient devenir ma paisible tombe.

Vu d'ensemble.

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